Un cas de mélanome oral chez un chien : diagnostic et traitement

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Par Elsa EDERY, DipECVIM, spécialiste en médecine interne

Services de médecine interne et d'oncologie médicale.

Examen sous anesthésie générale mettant en évidence une masse exophytique pigmentée et ulcérée, intéressant l'os maixllaire rostral / os incisif gauches.

Anamnèse

Barney est un Labrador mâle castré de 9 ans présenté pour l’évaluation d’une masse gingivale sur l'os maxillaire ayant été remarqué par ses propriétaires 2 semaines auparavant en raison d’une halitose et de saignements buccaux ainsi qu’une difficulté à la préhension des croquettes (voir photo). Une biopsie incisionnelle est réalisée par le vétérinaire traitant avant de référer Barney et est en faveur d’un mélanome oral.

Examen clinique

À l'examen clinique, aucune anomalie n'est notée à l'exception de la présence de cette masse mesurant 3 x 4cm. La palpation des nœuds lymphatiques en région mandibulaire ne met pas en évidence de lymphadénomégalie.

Bilan d'extension

Un examen tomodensitométrique de la tête, du cou et du thorax est réalisé et met en évidence en regard de la masse gingivale une lyse de l'os maxillaire sous-jacent (voir photo). Une recherche du nœud lymphatique sentinelle est réalisée à l'aide d'une lymphangiographie indirecte au moment du scanner. Le nœud lymphatique rétro pharyngé médial gauche est ainsi marqué en premier, confirmant qu'il est le nœud lymphatique sentinelle. Il est néanmoins au scanner de taille normale. Le scanner thoracique ne met pas en évidence de métastases.

Bilan d’extension local par tomodensitométrie montrant la lyse osseuse de l’os incisif associé à la tumeur.

Traitement

Une prise en charge chirurgicale par maxillectomie et lymphadénectomie sélective du nœud lymphatique rétropharyngé gauche est réalisée (voir photos de la pièce d'exérèse et le résultat en postopératoire immédiat). Barney est gardé en hospitalisation 48 heures après la chirurgie pour analgésie et est rendu à ses propriétaires avec une analgésie à poursuivre par voie orale à la maison. La récupération fonctionnelle est excellente.

Vue post-opératoire immédiate après la maxillectomie rostrale

L'histologie confirme qu'il s'agit d'un mélanome avec des atypies cytonucléaires franches avec anisocytose, anisocaryose, noyaux vésiculeux ou hyperchromes, plurinucléolation. L’activité mitotique dépasse 50 mitoses pour 10 champs SHPF. L'examen des marges montre la présence d'une exérèse complète avec des marges supérieures à 15 mm caudalement. Le ganglion sentinelle est, malgré sa taille normale, métastatique à l’histologie.

Le stade du mélanome est donc un stade 3.

En raison de facteurs pronostiques péjoratifs (stade, index mitotique élevé, présence de métastase ganglionnaire), un traitement adjuvant est discuté avec les propriétaires qui choisissent en raison d’une très bonne tolérance la mise en place d'une immunothérapie avec l’Oncept melanoma. Le protocole consiste en une « primovaccination » de 4 injections à deux semaines d’intervalle. Des « rappels » tous les 6 mois sont ensuite prévus, avec des bilans d'extension avant les injections de rappel.

Barney bénéficie d’une durée de survie de 20 mois après le diagnostic, avec progression de la maladie métastatique et apparition de métastase ganglionnaire palpable et de métastases pulmonaires en stade terminal.

Discussion

Le mélanome représente la tumeur diagnostiquée le plus fréquemment dans la cavité orale chez le chien et touche plus particulièrement des chiens adultes âgés en moyenne de 11 ans au moment du diagnostic.

Historiquement, les cockers, caniches et chiens à forte pigmentation de la muqueuse buccale étaient considérés à risque de développer un mélanome oral. Plus récemment, une sur-représentation de Chow Chow, Scottish terrier, Golden retriever et Labrador ainsi que les races croisées pékinois et caniches a également été rapportée. Certaines études démontrent une prédisposition chez les chiens mâles, mais la plupart des études ne reconnaissent pas de prédisposition sexuelle.

Les mélanomes oraux ont classiquement été considérés comme une forme de mélanome avec un comportement biologique agressif, défini comme une invasion loco-régionale, la présence de métastases ganglionnaires et pulmonaires, avec certaines études rapportant des temps médians de survie d'à peine 65 jours chez les chiens en l'absence de traitement. Les différents paramètres identifiés comme pronostiques sont le stade, la présence de métastases à distance, la présence d'atypies nucléaires, l'index mitotique, le degré de pigmentation de la tumeur, les invasions lymphatiques et l'index KI67.

Des études ont néanmoins introduit la notion qu'il existait probablement une population de chien avec des mélanomes oraux susceptibles d'avoir une évolution clinique plus favorable que traditionnellement évoquée. En effet, Spangler et al ont montré que sur 92 % des mélanomes oraux considérés comme malin d'un point de vue histomorphologique, seuls 59 % démontraient un comportement biologique défavorable défini par le développement de métastases et/ou une récurrence locale. De la même façon, dans une autre étude s'intéressant à 64 chiens avec des mélanomes bien différenciés et pigmentés, de la muqueuse labiale et buccale, traités par chirurgie uniquement, seulement 5 % des chiens décédaient de causes liées à leur tumeur, avec des médianes de survie de 34 mois après chirurgie. (Esplin)

La démarche diagnostique, lors de mélanomes de la cavité buccale, consiste à réaliser des examens d’imagerie afin de déterminer le stade de la tumeur.

Selon le staging de l’OMS, les patients avec une tumeur de moins de 2 cm sont considérés stade 1, le stade 2 étant caractérisé par une tumeur mesurant entre 2 et 4 cm, le stade 3 lors de tumeur de diamètre supérieur à 4 cm et/ou présence de métastases ganglionnaires, et en stade 4, lors de la présence de métastases à distance.

Le bilan d'extension doit donc inclure l'évaluation de nœuds lymphatiques régionaux, et du thorax. Historiquement des radiographies thoraciques permettaient la recherche de métastases pulmonaires. De nos jours grâce à la disponibilité des scanner, des examens tomodensitométrie apparaissent plus adaptés pour l'évaluation de l’invasion des tissus environnants de la tumeur (notamment au niveau osseux) et des nœuds lymphatiques régionaux, ainsi que la recherche de métastases pulmonaires de plus petit diamètre. Il faut se rappeler par ailleurs que la palpation des ganglions régionaux, bien qu’incontournable est souvent insuffisante. En effet, alors que des métastases ganglionnaires sont présentes chez 70 % des chiens lors de lymphadénomégalie, 40 % de ganglions régionaux de taille normale sont également métastatiques. De plus, le drainage lymphatique au niveau de la tête est complexe et fréquemment des métastases aux nœuds lymphatiques contro-latéraux ont été décrites. Afin d'évaluer la présence de métastases, l'histologie demeure supérieure à la cytologie en raison de la discordance fréquente entre les deux techniques. Il est donc recommandé d'identifier puis d'extirper le nœud lymphatique sentinelle (défini par le premier nœud drainant la tumeur) à l'aide de techniques d'injection péritumorale de produit de contraste de type Lipiodol ou produit iodé hydrosoluble. Ainsi, Grimes et al ont montré l'utilité du scanner pour l'identification des nœuds sentinelles lors de mélanome, mais les différents patterns de prise de contraste lors du scanner par les nœuds identifiés comme sentinelles n'ont pas permis de prédire leur nature métastatique ou non, rendant donc, la lymphadénectomie sélective nécessaire pour la réalisation d’un bilan d’extension complet.

Exemple de recherche de nœud lymphatique sentinelle par injection de Lipiodol autour de la tumeur, par technique de radiographie (photo 1) et par lymphangiographie indirecte (iohexol) par technique tomodensitométrique (photo 2)

La modalité primaire du traitement du mélanome oral demeure la chirurgie avec comme objectif une exérèse complète de la tumeur. Typiquement, des marges entre 2 et 3 cm autour de la tumeur sont recommandées, mais dans la cavité buccale ce type de marge n'est pas toujours réaliste et et les chirurgiens considèrent que des marges de 1 à 2 cm lors de mélanome buccaux bien délimités peuvent être suffisantes.
Dans un deuxième temps, la chirurgie peut être complétée par une radiothérapie des marges lorsque ces dernières ne sont pas complètes, ainsi que des ganglions locaux régionaux lors de nœuds lymphatiques sentinelles métastatiques.

Selon l'emplacement de la tumeur dans la cavité, une mandibulectomie ou maxillectomie partielle est nécessaire afin d'éviter une récidive locale. En effet, il a été montré que les chiens avec des marges histologiques incomplètes avaient un risque presque quatre fois supérieur de décéder de leur tumeur en comparaison avec des chiens ayant eu une exérèse complète.
Les mélanomes sont des tumeurs particulièrement résistantes à la radiothérapie nécessitant ainsi des protocoles avec des doses de radiation élevées. Néanmoins c'est un traitement adjuvant intéressant à la chirurgie lorsque l'obtention de marge complète n'est pas possible. Les taux de réponse varient significativement selon les études, avec des taux de récurrence locale variant entre 26 % lors du traitement de marges incomplètes après la chirurgie vs 45 % lorsque la radiothérapie est utilisée sur une maladie macroscopique.

Étant donné l'absence de large disponibilité de la radiothérapie en médecine vétérinaire, d'autres modalités thérapeutiques ont été développées et ont leur place dans le traitement du mélanome oral chez le chien.
Le rôle de la chimiothérapie dans la prise en charge des mélanomes oraux demeure incertain. En effet, les taux de réponse des mélanomes macroscopiques sont généralement de courte durée, et décevants avec des taux de réponse inférieurs à 30 %. De plus, plusieurs études rétrospectives évaluant l'intérêt de la chimiothérapie adjuvante à la chirurgie ou la radiothérapie n'ont pas montré de différence significative quant au pronostic.

Le recours à l'immunothérapie est une approche thérapeutique potentiellement intéressante lors de mélanome, comme cela est le cas en cancérologie humaine.. Le seul vaccin actuellement commercialisé en médecine vétérinaire est Oncept melanoma, qui a été utilisé sur Barney. Il s'agit d'un vaccin xénogénéique, à ADN codant pour une tyrosinase humaine. La tyrosinase est une glycoprotéine intracellulaire essentielle à la synthèse de mélanine qui est généralement sur-exprimée dans la majorité des mélanomes oraux chez le chien. L'efficacité réelle du vaccin demeure incertaine avec des études montrant des résultats contradictoires : certaines études montrent une amélioration du temps de survie chez les chiens traités par rapport aux chiens non traités, mais des études supplémentaires sont nécessaires sur un plus grand nombre de patients afin de clarifier l'efficacité réelle de cette modalité thérapeutique. Néanmoins, en raison d'une excellente tolérance du vaccin, le traitement à l'Oncept après la réalisation de l'exérèse chirurgicale peut représenter une option adjuvante intéressante pour certains patients. Ce vaccin n'est pas commercialisé en Europe, mais peut être importé sous certaines conditions.

Biobliographie

Spangler WL, Kass PH: The histologic and epidemiologic bases for prognostic considerations in canine melanocytic neoplasia. Vet Pathol 43:136–149, 2006

Esplin DG: Survival of dogs following surgical excision of histologically well-differentiated melanocytic neoplasms of the mucous membranes of the lips and oral cavity. Vet Pathol 45:889–96, 2008

Janet A. Grimes, Scott A. Secrest, Mandy L. Wallace, Travis Laver, Chad W. SchmiedtUse of indirect computed tomography lymphangiography to determine metastatic status of sentinel lymph nodes in dogs with a pre-operative diagnosis of melanoma or mast cell tumour